Point de vue. Par Salam Kawakibi, ancien directeur de l’Institut français du Proche-Orient à Alep.
Les discours onusiens nous annon- cent régulièrement la date limite de la tuerie qui endeuille la Syrie de- puis mars 2011. Cependant, les va- cances sont là et il ne faut pas dé- ranger la quiétude des décideurs de ce monde.
Dès lors, il est presque inutile de rappeler les origines du « cauche- mar syrien » et de répéter à l’envi que c’est l’histoire d’une révolte pacifique réprimée dans le sang et qui a été mi- litarisée avec une volonté explicite de l’avorter.
Il est presque inutile désormais de décrire la lâcheté de ladite « commu- nauté internationale », notamment celle des États-Unis : hormis les beaux discours, le peuple syrien est livré à son sort.
Il est presque tout aussi inutile de souligner que tous les régimes arabes ont œuvré ardemment et par tous les moyens – services de rensei- gnements, armements, diplomaties, etc. – afin de transformer une révolu- tion populaire en catastrophe huma- nitaire, comme pour servir d’exemple à leurs propres populations.
Il est presque inutile ainsi de révéer le rôle destructeur de la Russie, d’énumérer les massacres que son armée a perpétrés contre les civils, violant les conventions internatio- nales sur l’usage des armes inter- dites, telles que les bombes à frag- mentation et au napalm. À cette Rus- sie qui crie victoire devant la souf- france humaine, s’ajoute la complicité de certains élus européens qui félici- tent de temps à autre ces bourreaux, à des fins idéologiques ou lucratives, qu’importe.
Il est presque inutile enfin de signa- ler l’implication iranienne, par l’entre- mise de ses bras armés irakiens, liba- nais et afghans, dans la chaîne dia- bolique des massacres.
Après un long sommeil moral, le réveil s’annonce dur pour les Occi- dentaux : flux de réfugiés et attentats terroristes. Notre conscience s’est contentée d’observer cyniquement et longuement, avec une impuis- sance cuisante, l’arène syrienne où on ne compte plus les morts. Ce que nous avons vécu n’est rien au regard de l’épreuve traversée par cette po- pulation qui a osé se soulever pour sa liberté, après cinquante-quatre ans de tyrannie.
Si la période préélectorale privilé- gie de débattre de questions aussi cruciales que celle du « burkini », en invitant même des intellectuels à considérer que les porteuses sont des « militantes », ce niveau « raffi- né » du débat public marginalise for- tement les sujets « légers » comme celui d’un massacre à ciel ouvert, qui a coûté la vie à plus de 300 000 êtres humains, tout près de notre Europe éclatée.
En revanche, nous n’éprouvons au- cune indécence à rappeler, régulière- ment, les « valeurs européennes », en soutenant le retour de la dictature en Égypte ou en essayant de promou- voir la réintégration d’autres bour- reaux sur la scène internationale. Nos « valeurs » ne deviennent tangibles qu’au moment où nos grandes entre- prises perdent des marchés ou que nos intérêts deviennent menacés. Le soutien implicite de certains par- mi nous à un coup d’État militaire en Turquie ne doit pas étonner les aver- tis, qui se souviennent de l’appui in- conditionnel aux militaires égyptiens, ou de l’alliance rentable avec les mo- narchies pétrolières.
Ces fameuses « valeurs » sont évo- cables seulement au moment où nous traitons par exemple des liber- tés en Turquie, bafouées par le gou- vernement qui ne nous plaît pas. Ain- si, ces « valeurs » ne surgissent qu’au moment de développer un discours islamophobe creusant la fracture au sein de nos propres sociétés.
Durant nos bains de soleil, des bains de sang inondent l’humanité en Syrie.