Terrorisme en 2017: entre continuités et ruptures

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Somali soldiers pass near the burning wreckage of a car bomb in Mogadishu Somalia, Saturday, Oct. 1, 2016. A Somali police officer says a car bomb struck the entrance of a restaurant in the Somali capital Saturday, killing two people. Capt. Mohamed Hussein said that the blast occurred as Blue Sky restaurant which is close to the presidential palace was packed with diners. (AP Photo/Farah Abdi Warsameh)
Haffington Post Maghreb |Raouf Farrah

03/01/2016

Nous vivons dans un monde effroyablement meurtri par le terrorisme. Dès le 1er janvier 2016, ce dernier avait déjà entonné le son de sa première cloche. La scène est ordinaire : une famille afghane est assise dans un petit restaurant du centre de Kaboul. Elle attend avec impatience un repas chaud durant cet hiver glacial. Ayant remarqué le serveur au loin, le père saisit la main de sa fille, puis de sa femme et amorce une prière : «Bi’ism Allah»… La suite s’exempte de commentaires. Les quatre individus sont déchiquetés sur le coup par une bombe artisanale dont les talibans s’en revendiqueront fièrement.

Malheureusement, Kaboul n’est que l’exception qui confirme la règle. C’est un sinistre refrain mortuaire qui retentit de par le monde. Et comme toujours, c’est le Moyen-Orient et l’Afrique qui payent le lourd tribut des méandres du terrorisme mondialisé, même si l’Europe est ponctuellement mise à mal. Tristement, ce chant terrifiant s’est presque clôturé en 2016 sous les clochers du marché de Noël de Berlin. Le 22 décembre 2016, une attaque terroriste a pris pour cibles des citoyens ordinaires faisant une dizaine de morts. Largement médiatisée dans le monde, l’«humanité» a retenu le son du clocher berlinois bien plus que l’air assourdissant de Kaboul. Double standard moral ou indifférence généralisée? Au lecteur d’en juger…

Le terrorisme en 2016 s’est donc conjugué au présent continu, sans oraison funèbre pour ses victimes, décédées pour leur écrasante majorité dans l’anonymat absolu. Face à son appétence mortelle et eu égard à ce déferlement de violence, d’incompréhension et d’indifférences, un bilan s’impose : au-delà de l’émotion et la réaction, sommes-nous en mesure de nous autoriser une compréhension du phénomène sans caricatures ni fioritures? Comment interpréter le développement du terrorisme en 2016? Et quel sera son futur en 2017?

2016 : une année sombre pour l’Afrique et le Moyen-Orient

Le sombre bilan du terrorisme pour 2016 en Irak prend ses racines dans un interventionnisme déstabilisateur qui a engendré un chaos sécuritaire et politique, semant les graines de la terreur dans la région. Treize ans après l’ignominie américaine, les veines irakiennes coulent encore et toujours à flots. En effet, plus de 300 attaques terroristes, une dizaine de tueries à la chaîne, des centaines de décapitations et des milliers d’enlèvements ont été perpétrés en 2016, telle que l’attaque qui a tué plus de 80 pèlerins iraniens près de la ville d’Erbil. L’exemple irakien se suffit à lui seul pour décrire la décrépitude d’un Moyen-Orient qui sombre dans l’obscurantisme le plus abject, et pour lequel aucun mot ne suffit à exprimer l’horreur et l’effroi perpétrés contre les peuples de la région.

L’Afrique représente l’autre grande région mutilée par le terrorisme international. La liste des attentats en 2016 est plus longue que jamais : l’attaque de Ouagadougou au Burkina Faso, l’assaut à Maiduguri au Nigéria, le massacre de plus de 300 subsahariens en Libye…etc. Une litanie mortifère qui ressemble à une guerre totale contre l’ordinaire d’une vie décente. En terre africaine, l’année 2016 s’est terminée avec plus de 150 attaques, accentuées par l’insécurité grandissante au Sahel et l’élargissement des capacités d’action des groupes terroristes vers l’Afrique centrale.

En «Occident», malgré un discours médiatique surchauffé par la menace terroriste, l’Europe de l’Ouest et l’Amérique du Nord restent relativement protégées comparativement au reste du monde. Ainsi, cette terreur apparaît comme un modus operandi de la peur, très influencé par le discours médiatique et la rhétorique politicienne, qui alimentent des formes perverses de nombrilisme occidental. Selon Aurélie Campana, professeur à l’Université de Laval et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les conflits et le terrorisme, « l’Occident est encore et toujours relativement épargné par les terroristes. Depuis 1970 jusqu’à ce jour, l’Amérique du Nord détient une moyenne de 73 attaques terroristes par année, comparativement à 898 pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord». Le Global Terrorism Index 2015, un classement des nations les plus exposées au terrorisme, rapporte que les 30 pays les plus à risque face à la menace terroriste sont des pays africains ou asiatiques, véritables foyers brulants du terrorisme mondialisé.

2017 : vers une reconfiguration du terrorisme international?

L’année 2017 sera une année charnière pour une éventuelle restructuration du terrorisme international et la lutte antiterroriste. Des tendances nouvelles quant au rôle, à l’influence et à la stratégie des groupes extrémistes vont modifier le champ d’action et le cadre global de la lutte antiterroriste.

Que ce soit par le critère du nombre d’attaques perpétrées ou celui du niveau de propagande, l’État islamique (ÉI) accusera en 2017 une perte de vitesse vertigineuse. L’organisation terroriste a déjà perdu plus de la moitié des territoires occupés en Irak depuis 2014. Durant les deux derniers mois, l’ÉI a perdu le contrôle d’importantes villes comme Syrte en Libye ou Alep en Syrie, et mène une lutte acharnée dans Mossoul contre l’armée irakienne.

Par conséquent, les pôles économiques syro-irakien échappent au contrôle de l’État islamique. Et par ricochet, la tendance au niveau de la fréquence et de la nature de la propagande va s’inverser. Selon une étude de l’académie militaire de West Point aux États-Unis, la propagande web diffusée par l’ÉI était d’environ 700 publications par mois à l’été 2015 en comparaison à moins de 200 publications en août 2016. De vidéos positives et parfaitement réalisées appelant les fidèles à joindre la terre promise du «califat islamique», elles sont passées à des contenus très courts, violents, exhortant les combattants à surmonter les turpitudes militaires.

Tout porte à croire que l’année 2017 verra l’agencement d’une coopération inattendue entre la Russie et les États-Unis sur la lutte antiterroriste. L’affinité du cabinet Trump avec des membres proéminents du Kremlin, la volonté américaine de céder une partie de leur engagement dans la région, et le souhait de Moscou de jouer un rôle de premier plan au Moyen-Orient et en Afrique du Nord sont des raisons objectives qui permettent de prédire une étroite collaboration dans la lutte antiterroriste. Cette dernière sera principalement axée sur la destruction de la capacité d’action de l’ÉI. En outre, les dernières déclarations de Walid Phares, conseiller spécial américain pour le Moyen-Orient, laissent présager que l’affaiblissement de l’organisation État islamique par les frappes américaines sera l’objectif majeur des U.S Forces en 2017.

La lutte acharnée contre l’ÉI n’est pas gagnée d’avance. Bien au contraire, elle donnera des ailes à l’organisation Al-Qaïda, véritable icône du «old school terror » selon la terminologie des jeunes extrémistes. Dès lors, de nombreuses petites cellules terroristes ainsi que plusieurs combattants n’hésiteront pas à prêter allégeance à Al-Qaïda comme cela se fait déjà en Libye depuis la chute de Syrte. S’il fallait exprimer le développement d’Al-Qaida en 2017 dans un langage économique, il y aura une tendance vers la «fusion-acquisition» de groupes relativement autonomes avec des structures faibles et ayant peu de lien avec la hiérarchie de l’organisation. À la différence de l’État islamique, Al-Qaïda a toujours milité pour l’impossibilité temporaire de fonder un «État» de par l’asymétrie du rapport de force entre l’organisation et les puissances occidentales. Désormais, l’organisation drague les «déchus» de l’ÉI et ne lésinera pas à activer des «réseaux dormants» parmi ses relais dans le monde entier.

Rien n’indique que le monde en 2017 sera épargné des dangers du terrorisme mondialisé. Et même si le sentier sera de plus en plus sinueux, il ouvrira fatalement des opportunités à de nouvelles formes de terreur. Car avant d’être un acte, le terrorisme est une idée. Une idée fratricide qu’aucun bombardement ne saura estomper.

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